« Amoco »

900

France BIHANNIC

Acrylique, technique mixte, sur toile 100 x 100 cm

Disponibilité : En stock

J’avais 15 ans.
En arrivant au port j’ai compris qu’il se passait un événement tragique.
Encore au volant de sa 404, mon père se frayait un passage parmi tous les désespérés qui avançaient vers la dune.
La voiture garée, nous avons suivi tous ces orphelins, qui s’ignoraient,vers « Le Monstre » qu’on n’apercevait pas encore.
Il régnait une ambiance de mort…
L’odeur, tout d’abord, nauséabonde, qui ne ressemble pas au bouquet des algues et de l’écume si familier.
Une puanteur incroyable.
Mais nous ne sommes pas encore au comble de notre surprise.
En s’approchant du sommet de la dune, incroyablement insensé, irréel, impossible, un mastodonte est là, laid, immonde, adipeux de toute sa graisse noire qu’il dégueule
de ses entrailles. Je pourrais presque le toucher du doigt, tant il est là, près de nous. Ces 230 000 tonnes de graisse noire viennent nous envahir, violer nos plages,
déflorer notre Mer, mépriser notre sable, profaner nos rochers, assassiner nos poissons,mettre à mort nos oiseaux.
Il régnait une ambiance de mort…
Après cette odeur, c’est maintenant ce silence qui m’étouffe.
On est là, tous, immobiles, abasourdis, impuissants, debout face au monstre, nous veillons un mort.
Plus un bruit. Ni le chant des mouettes dans le ciel, ni les cris des enfants sur la plage, et encore moins le murmure des clapotis de l’eau.
Il n’y a plus un son. Effrayant.
Mon père est figé, là, fixant ce meurtrier coincé dans les roches.
Je ne sais pas ce que je peux lire dans son regard à ce moment précis: De la haine ? De la tristesse ? De l’amertume ? De la consternation ?
J’ai pleuré de désespoir, de désenchantement, d’écœurement. A ce moment précis j’ai pensé que tout était perdu.
Il régnait une ambiance de mort…
Que va-t-elle devenir ? Comment la soigner ? Comment la protéger des récidivistes !
J’ai honte.
Pourtant, jamais les pêcheurs, les Portsallais, les Léonards ne se sont résignés. Ils se sont battus pour faire entendre leur colère, jusqu’à Chicago !
Il aura fallu quatorze années de procédure pour que la Cour d’appel de Chicago condamne la Standard Oil of Indiana pour la marée noire causée par son navire, l’Amoco Cadiz
Et pourtant je n’y croyais pas.

France Bihannic

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